L'heure du loup

Aux rivages étranges et aux confins de la nuit, L’Heure du loup exhume les déclinaisons du mystère féminin. Le dessein de cette errance, c’est elle-même, intense et discrètement vulnérable. Bien que solidement ancrée dans des peurs archaïques réelles, la féminité y demeure volontairement fantasmatique et exploite ses propres obsessions : fécondité, sexualité, maternité, stérilité. Ici l’enjeu même de la procréation est source d’angoisse. Et l’impossibilité à procréer tout autant. Organique, ésotérique, le féminin se donne à voir à l’heure dite.

L’Heure du Loup, c’est celle où on ne peut plus se mentir ; l’heure de lâcher les fauves. Un seul espace, celui de la nature, féroce et cependant familière. Entre le clair et l’obscur, l’écorce et le feuillage d’une chevelure entêtante, entre crocs et serres carnassiers, l’éphémère taraude l’éternel. Et la peau frissonne.

Ces images confrontent à d’irréductibles arcanes, de celles qui attirent avec la même force qu’elles nous terrifient. De celles qui nous hantent. De celles vers qui nous allons. Et revenons, à reculons. Face à cette évidence, il ne reste qu’à s’enfoncer dans ce monde minéral qui nous rappelle sans cesse à nous-mêmes. Entre distanciation et immersion, cette lente plongée dans l’inconscient ravive nos terreurs avec la même force qu’elle les apprivoise. C’est donc bien une lutte à laquelle ces images nous convient, un combat décliné dans des noirs profonds et veloutés et des blancs crayeux.

Cette puissance toute en retenue fait peur. Sans doute, aussi, parce qu’elle exprime l’assurance d’un regard prêt à se jeter dans cet univers tellurique dont il a l’intuition. C’est cette justesse qui lui permet d’en déjouer les mécanismes en les poussant à bout d’eux-mêmes. Cette écriture photographique est plus saturnienne que thaumaturgique. Se refusant à la seule suggestion, Sophie Knittel fait face à la monstration et si, elle déterre des symboles, c’est pour en montrer les limites face à une quête de sens authentique.

Des profondeurs de l’aube jusqu’au plus glacial de la nuit, cette fiction documentaire extrait le sel de la terre et transpire une violence larvée. A bout de souffle, c’est ainsi que l’on échappe à cette apnée en terre ferme. Pas tout à fait indemnes. L’expérience est éprouvante. Parce qu’elle confronte à ce que chacun s’efforce d’enfouir.

Texte d'Eléonore Antzenberger